Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Frédéric Lasnier, le PDG de Pentalog. Dans cet échange “sans filtre” (comme les cigarettes dont il va parler plus bas), il nous explique ce qu’est pour lui une vraie politique ESG, comment on doit fuir le RSE washing, pourquoi les décisions morales qu’on prend sont capitales et structurent votre business.
Par Cyrille de Lasteyrie, digital explorer.
Cyrille : Comment sait-on qu’on est vraiment dans une dynamique ESG ?
Frédéric : Si ça n’a pas de coût, c’est que tu n’en fais pas vraiment. Il faut qu’il y ait un coût notable, sinon c’est de la com. Par exemple, planter un arbre ça coûte grosso modo 15 €. Si t’en plantes mille ça te coûte 15.000€, tu fais ça avec les salariés le week-end, personne n’est payé, c’est un effort collectif pour la planète… Cela te fait une belle opération de communication pour pas grand-chose par rapport aux moyens globaux de l’entreprise d’une part, et des profits qu’elle tire de la planète d’autre part.
L’entreprise est en interaction avec le monde, c’est un organisme vivant, comme l’arbre. Elle est dans ce grand système et elle tire des revenus en millions ou en milliards, selon la taille. Et donc il faut qu’il y ait un rapport de proportionnalité avec ces grandeurs. Sinon, cela veut dire que tu n’es pas en train de faire des choix importants.
Cyrille : C’est quoi des choix importants ?
Frédéric : Et bien par exemple nous avons décidé de ne pas travailler avec certains secteurs d’activité. Les cigarettiers, le monde du jeu, de l’armement, les nazis.
Cyrille : Les nazis ? En effet, ce n’est pas très ESG…
Frédéric : Tu plaisantes mais l’année dernière nous avons refusé de travailler avec un énorme et très beau compte parce que son histoire était encore trop liée au nazisme. Nous savons parfaitement que nos interlocuteurs ne sont pas des nazis mais il y a mille choses concrètes à réaliser pour se détacher de son passé, en termes d’actionnariat, de prises de parole, de symboles, etc. Nous en avons parlé entre nous et avons décidé de décliner le deal, malgré l’intérêt évident pour le business. Alors après tu peux aussi être un peu moins regardant, accepter le contrat et planter 10.000 arbres pour te donner bonne conscience. Mais ce n’est pas ce qu’on fait. Nous avons mis en place une politique ESG dont l’un des cinq piliers* est l’intégrité. On le dit puis on le fait.
Cyrille : Est-ce qu’on peut calculer le manque à gagner de ce genre décision ?
Frédéric : Oui, nous l’avons fait pour 2022. Les refus de business pour des critères ESG nous ont coûté entre 8 et 10% du Chiffre d’Affaires. On s’est basé sur les résultats moyens généralement pratiqués la première année d’activité avec des clients de taille et projets similaires. Je ne sais pas si tu réalises à quel point c’est énorme.
Cyrille : Mais tu y gagnes sur d’autres valeurs.
Frédéric : Oui. La valeur appliquée à ce que tu fais faire à tes collaborateurs. Il faut que tu les préserves de ces questions. Qu’ils ne se retrouvent pas un jour à travailler à contre cœur pour des projets qui les rendent malheureux. Il faut donc choisir les clients aussi en fonction de leurs rapports au monde et de leurs visions. C’est ton devoir désormais, en tant qu’entreprise, de penser au-delà de ton périmètre, en intégrant les autres composantes du système. Et c’est ton devoir vis-à-vis de tes collaborateurs de les inclure dans ce processus global.
Cyrille : Tu crois que les jeunes pensent à ces sujets ? Je pense par exemple aux cigarettes. Pas sûr qu’ils y voient un problème…
Frédéric : Tu as raison, mais justement. D’abord une bonne partie “des jeunes”, et nous le voyons chez nous, est très investie dans ces sujets. Quant à l’autre partie, celle qui profite de l’instant présent – comme nous l’avons fait -, nous pouvons y penser pour eux, ça fait partie du job. Quand dans 20 ans ils seront confrontés aux effets nocifs du tabac, c’est pas mal de leur éviter la culpabilité d’avoir contribué au problème. La manière dont l’entreprise fabrique ses résultats est capitale, elle est une boussole pour l’activité, ses décisions, ses futurs actionnariats, et le bien-être de ses collaborateurs.
Cyrille : Faut-il une personne dédiée au bien-être de ses collaborateurs ?
Frédéric : Si tu mènes une organisation proprement, en mode agile à tous les étages, tu n’as pas besoin de DRH ou de Chief Happiness Officer. Nous n’avons ni l’un ni l’autre.
Cyrille : Le truc c’est que ces entreprises avec qui on a refusé de travailler, elles sont tout à fait légales. Donc nous dessinons le monde avec nos critères. Nous nous plaçons au-dessus de ces lois qui les tolèrent ?
Frédéric : J’assume totalement. Mais nous ne sommes pas au-dessus des lois, nous prenons en toute liberté des décisions qui nous ressemblent. La loi est un socle commun, ensuite chacun fait ses choix.
Cyrille : Il y a une liste concrète des secteurs d’activité interdits ou c’est un peu à chaque fois une question qui se pose ?
Frédéric : Il y a quelques secteurs non négociables comme les cigarettes, le porno, le jeu, l’armement. Ensuite, au cas par cas, c’est discuté en Conseil d’Administration. Anecdote, nous avons accepté cette année de travailler avec une entreprise que nous avions refusée plusieurs fois. Mais elle a modifié suffisamment d’éléments de son business pour rentrer dans nos critères. Donc ce n’est pas un système sclérosé, ça pousse tout le monde vers le mieux.
Cyrille : Mais cela veut dire que quand tu refuses tu expliques tout cela ?
Frédéric : Généralement non, nous ne sommes pas des donneurs de leçons et chacun fait ce qu’il peut et ce qu’il veut. On veut rester poli et ne pas leur mettre la pression, ces critères sont les nôtres. De même que les gens qui travaillent dans ces entreprises, ils n’ont souvent rien à voir avec toutes ces questions et ces choix stratégiques. Il est possible que certains n’y aient même jamais pensé.
Cyrille : Ça ne doit pas toujours être simple à expliquer…
Frédéric : On y arrive. Il m’est néanmoins arrivé une histoire plus délicate. Un homme que je connais, client fidèle de Pentalog, avec lequel nous avions travaillé dans deux entreprises différentes, a un jour changé de société et a voulu nous emmener avec lui, comme la fois précédente. Mais son nouvel environnement de travail ne correspondait plus à nos critères. Lui, nous savons que c’est un mec super ; mais sa boîte non. La conversation que j’ai eue avec lui a été dure, franche, mais cela fait partie des moments de vie qui structurent l’orientation d’un groupe, et aussi d’une relation humaine. Et je ne doute pas que nous retravaillerons ensemble.
Cyrille : Merci Frédéric, je vais aller m’en griller une pour fêter ça… (joke)
- Les 5 piliers de la mission de Pentalog sont le bien-être, l’intégrité, l’environnement, l’éducation et l’égalité.