La création, l’organisation et l’amélioration des activités de vente en ligne constituent un véritable crash test pour les entreprises. Les grands enjeux du e-commerce concernent la plateforme, certes, mais tout autant son management. C’est ce que nous explique Andreea Hodade, spécialiste e-commerce chez Pentalog. Par son expérience, Andreea a expérimenté toutes les phases des processus de digitalisation. Entre ROI et gestion de l’humain…
Pentalog : Andreea, quels profils de manager retrouvent-on dans les grandes aventures e-commerce ?
Andreea Hodade : Pour simplifier fortement, on peut catégoriser les patrons des plateformes e-commerce en deux grandes familles : les « maçons » et les « opérateurs ». En d’autres termes, et pour le e-commerce, ce serait le CTO (directeur systèmes d’information) et respectivement le COO (directeur d’exploitation ou directeur e-commerce).
P5 : Commençons par les « maçons»…
A.H : Les « maçons» sont dans l’innovation. Ils sont obsédés par le besoin du client. Un besoin quelque part hypothétique, car bien souvent décalé par rapport à la satisfaction constatée plus tard, quand le produit est en fonction. Ils obtiennent des capitaux, de quoi lancer la plateforme. Pour ces bâtisseurs du début, la question n’est pas de comprendre dans le détail les process spécifiques à l’exploitation, comme par exemple la supply, la logistique, le transport ou l’expédition. À ce stade, ils s’en moquent. Lorsque l’on veut sa plateforme, on ne veut pas prendre en compte la complexité mais on ne jure que par la rapidité et la facilité. La question des coûts viendra après. Et c’est bien normal, c’est l’énergie de la construction. Les « maçons» ne comprennent pas comment le produit final va vivre. CRM, entrepôts, fournisseurs etc, tout ça c’est un tue-l’amour pour eux… S’ils prenaient tout cela en compte, il y a fort à parier qu’ils se décourageraient.
P5 : Mais vient bientôt le temps des « opérateurs »…
A.H. : C’est souvent aux profils « opérateurs » de reprendre le bébé, une fois la phase de construction achevée. Eux ne veulent pas de bugs ! Moins ils entendent parler des aspects techniques mieux ils se portent. Leur préoccupation à eux est la marge et la satisfaction de l’utilisateur au quotidien. Quand un « opérateur » reprend le magasin e-commerce récemment lancé, il est souvent surpris. « Je n’ai que cela comme fonctionnalités de démarrage ? » Il est inquiet des frustrations des clients devant les erreurs inhérentes de tout démarrage. Il ne s’y est pas préparé. Et souvent, il reprend le développement des fonctionnalités en main pour améliorer la plateforme, pour la rendre enfin fluide.
P5. : Aujourd’hui le business est plus mûr. Les patrons maîtrisent-ils les façons d’aborder les plateformes e-commerce et les marketplaces ?
A.H. : Aujourd’hui plus que jamais, il faut que les patrons fassent preuve d’humilité. Il n’y a pas de recette miracle. Les communications de type « Les 5 points clés du e-commerce », c’est du bullshit. Beaucoup de premières tentatives se soldent par des échecs. Chez certains gros acteurs, les décideurs ont accepté l’idée du test and learn. Mais c’est du test and learn au forceps. Ils font monter le niveau de stress à un niveau destructeur de valeur (c’est la partie « test »). Un niveau qui fait fuir les équipes. Cela ralentit le cycle du projet. Ce sont des projets — des boîtes noires — qui vont à la benne, parfois 20 M dépensés en vain en trois ans. Au forceps c’est accepter des grosses pertes. On en est encore là. Bien sûr, d’autres projets viendront derrière, plus ou moins aboutis, fruits des leçons des erreurs du passé (c’est la partie « learn »). Mais à quel coût humain et financier ?…
P5. : Alors quelle serait la bonne attitude ?
A.H : Pour un « maçon» ou un « opérateur » de 2021-2022, la bonne attitude est d’accepter qu’on ne sait pas faire. De se dire que « c’est OK de demander de l’aide », de tendre la main. À qui ? À des équipes extérieures qui offrent un mix prix-qualité-disponibilité. Cela n’a pas marché sur le principe de la boîte noire ? Trouvons un prestataire légitime dans ce qu’on cherche à construire, et surtout qui nous accompagne petit à petit.
P5. : Humilité du Board ?
A.H : En quelque sorte. Humilité non seulement vis-à-vis des partenaires, donc, mais également en interne. L’« opérateur » doit être humble par rapport au CTO et le « maçon » doit être humble par rapport à l’exploitant.
P5 : Mais c’est à la révolution de la « troisième marche » que tu appelles ?
A.H : Ah ah ah ! Oui c’est ça ! Regarde : si on imagine un « modèle de maturité technologique » dans le processus de prise de décision stratégique et opérationnelle qui passe dans les instances du Board, on peut facilement distinguer 3 marches, 3 phases ou façons de faire si tu veux :
- Première marche : on constate qu’on manque de compétences digitales en interne et on demande à un grand cabinet de consulting de venir nous apprendre le métier e-commerce. Une relation de co-dépendence s’installe où le savoir métier reste en dehors de l’entreprise. Sur le long terme les grandes décisions stratégiques ne bénéficient pas de cette expertise technique. C’est la marche « Je fais du e-commerce, mais j’estime que la technologie n’est pas cœur-métier »
- Deuxième marche : On crée une startup interne. On laisse construire un ou plusieurs projets digitaux en dehors des regards corsetés du Board, puis, une fois les produits finalisés on essaie de les intégrer dans le vieil écosystème technologique existant. Je dis « essayer » car les « greffes » sont souvent rejetées par le corps. C’est un phénomène assez légitime car les responsables des vieux systèmes ne vont pas voir d’un bon œil une plateforme e-commerce construite sans leur validation (même si elle est très bien). Il peut aussi arriver que le produit ait grossièrement ignoré la réalité du vieil écosystème, ce qui rend quasiment impossible le mariage entre les anciennes et les nouvelles fonctionnalités. C’est la marche « J’essaie de faire entrer la technologie dans mon cœur-métier, mais par la petite porte… »
- Troisième marche : On embauche des directeurs, et des membres du Board (CEO, juridique, opérationnel, marketing etc.), avec background technique. C’est sur cette marche que l’ADN de l’entreprise se « technologise », si je puis dire. C’est la marche « Je fais rentrer officiellement la technologie dans mon cœur-métier et j’ai un plan à toute épreuve de mise en œuvre sur le long terme. »
Cette troisième marche est clé. Plus on embauche à ce niveau-là des gens qui savent parler avec la tech, qui ont une mentalité tech, plus les avancées se feront en douceur. La technologie aujourd’hui, c’est comme l’anglais il y a 20 ans. Il faut le parler jusqu’en haut de la hiérarchie. On demande aujourd’hui même des DAF avec une expérience tech.
À propos du E-commerce :