Certains comparent la nouvelle génération d’intelligences artificielles à des ruptures aussi majeures que l’arrivée de l’électricité ou de l’informatique. Au-delà du buzz et des excès, qu’en est-il vraiment pour le business ? Existent-ils déjà des applications et des projets qui confirment cette folie générale ? Frédéric Lasnier, CEO de Pentalog, répond à mes questions.
Par Cyrille de Lasteyrie, digital explorer.
Cyrille : La folie actuelle autour de l’IA est-elle un énième buzz, comme avec la blockchain ou le Metaverse, ou est-ce un bouleversement plus profond ?
Frédéric Lasnier : Le bouleversement est nettement plus profond. La Blockchain finalement, c’était juste une autre manière de faire des traitements, mais ça restait des traitements d’informations. Là, on parle de l’établissement d’une nouvelle relation entre l’homme et la machine. C’est la machine qui répond à ma question. C’est beaucoup plus profond parce que les implications économiques sont immédiates. Cela provoque une peur généralisée. Personne n’a eu peur de la Blockchain ou du Metaverse.
Cyrille : Est-ce que l’IA est un sujet chez Pentalog, et si oui depuis quand ?
Frédéric Lasnier : Cela fait trois ans qu’on est dessus en profondeur. On faisait des essais depuis longtemps autour de ces outils, mais surtout autour de ce que ça pouvait changer pour nos clients. À partir du moment où on a mis en place du DataOps, c’est devenu une préoccupation plus intense. Quand on a intégré du low code, c’est devenu là aussi une préoccupation plus intense. Notamment sur le temps que, potentiellement, ces outils pouvaient faire gagner.
Cyrille : Et puis est arrivé OpenAI…
Frédéric Lasnier : OpenAI c’est récent et on l’a tout de suite exploitée. On a vu qu’on pouvait mécaniser certaines parties de l’évaluation des compétences des développeurs et ingénieurs avec un taux de succès totalement comparable à celui d’un expert chevronné. On imagine toujours que ce genre d’outils se substitue uniquement à des tâches à basse qualification, mais là nous l’avons associé à un véritable travail d’expert. L’IA va donc nous obliger à réinventer le rapport aux compétences, notamment sur des process hyper sophistiqués, que l’on croyait jusqu’à là réservés à l’intelligence humaine. Et pas uniquement sur les hard skills ! Le plus étonnant c’est que ça marche aussi sur l’évaluation des soft skills, c’est-à-dire l’intelligence relationnelle et émotionnelle.
Cyrille : Avec son système d’évaluation propriétaire, Pentalog revendique de proposer le Top3% des talents tech dans le monde. En quoi l’IA va-t-elle améliorer ce score ?
Si l’on compare l’évaluation de compétences faite par l’IA et celle faite par un expert, on arrive aujourd’hui à une compatibilité proche de 85% et cela progresse de jour en jour. Le résultat est que l’IA peut dégrossir l’évaluation de façon extrêmement rapide et que nos experts peuvent compléter plus rapidement pour valider, corriger, affiner. La coopération “humain + IA” est super performante, et très souvent supérieure à l’humain seul. Mais considérant l’exigence des licornes et des grandes corporations, et aussi l’importance des non-dits et des subtilités humaines, on ne laissera jamais la main à une IA seule ; mais nous allons améliorer tous les process, éliminer certains biais, gagner du temps à tous les étages, et forcément réduire les coûts.
Cyrille : J’ai vu passer quelques chiffres impressionnants à ce sujet. Notre Studio d’Innovation a calculé que l’année dernière, en 2022, si nous avions déjà pu profiter de notre nouveau système Humain+IA, nous aurions économisé 80% !
Frédéric Lasnier : Oui, ce chiffre concerne le coût de l’auto-évaluation des candidats et du traitement réalisé par les experts pour la validation et les conclusions. En effet, c’est énorme. Cette économie ne touche qu’une seule des lignes dans le budget, mais je ne doute pas que nous allons tous trouver de nouvelles sources d’optimisation un peu partout dans les mois qui viennent.
Cyrille : Est-ce qu’il y a des clients qui nous demandent de l’IA aujourd’hui ?
Frédéric Lasnier : On en parle dans tous les meetings. Parfois ils ne savent pas encore comment ils vont l’exploiter mais le sujet est partout. Ceci étant dit, l’IA toute seule ne signifie rien. Ce qui compte ce sont les données à disposition. Donc il ne suffit pas de dire “on veut faire de l’IA” ; les entreprises qui vont optimiser cet outil sont celles qui ont une stratégie et des process Data déjà bien solides. Bien sûr, on peut utiliser l’IA dès maintenant grâce aux dizaines d’applis qui apparaissent chaque jour, pour créer du contenu, traduire, simplifier des tâches par dizaines, etc. Au risque cependant de dépendre de ces applications externes, ou même de s’en retrouver privé (comme en Italie qui a interdit ChatGPT pour quelques temps). Pour performer, l’entreprise doit disposer ou mettre en place une politique DataOps sérieuse très rapidement, si ce n’est pas déjà fait.
Cyrille : Es-tu inquiet pour les développeurs et les métiers du coding ?
Frédéric Lasnier : Le coding sera concerné, évidement. Comme à chaque fois qu’il y a une innovation technologique, il y a augmentation de la productivité et d’énormes mutations dans la façon de faire. Mais dans le même temps, à chaque fois, les besoins nouveaux sont absorbés et nécessitent de nouvelles compétences, et ainsi de suite. On aura peut-être un peu moins de coding pur et dur, mais on aura davantage d’engineering.
Cyrille : Un de nos clients, Carsup, semble déjà avoir pris la mesure de l’IA pour améliorer la nature même de son service ?
Frédéric Lasnier : Carsup fait de la conciergerie de voitures haut de gamme. Il y a donc une énorme base de connaissances à entretenir et, possiblement, à exploiter. L’idée qui est apparue est notamment de booster l’activité de maintenance des véhicules grâce à l’IA, qui va connaître dans le détail chaque modèle et version de chaque marque. Une fois relié aux données du véhicule (kilométrage, usure, etc), le modèle Carsup pourra affiner ses alertes de façon très précise. C’est de la maintenance prédictive ultra ciblée. Donc d’un côté, il y a une approche “contenu”, car ils vont pouvoir fabriquer l’ensemble des fiches maintenance (ce qu’ils n’auraient jamais fait sans IA). De l’autre côté, ils vont découper la maintenance en périodes et diffuser les informations à l’intérieur des outils de relation client, notamment dans l’App mise à disposition. On peut donc faire à la fois de l’IA et de l’automatisation, c’est le combo gagnant ! Les clients de Carsup sont par définition des gens qui veulent le meilleur pour leur véhicule ; l’IA va permettre de répondre à leur exigence de qualité de service.
Cyrille : C’est l’ensemble des start-ups qui va pouvoir améliorer le business alors que dans le même temps il semblerait que les fonds d’investissement soient un peu au ralenti ?
Frédéric Lasnier : Oui, ça va permettre aux start-ups de réaliser des choses qu’elles n’avaient même pas prévues. Elles vont utiliser et l’IA dans sa fonction de baisse des coûts, ce qui sera une alternative à la levée de fonds. Elles vont pouvoir augmenter leur volume de développement et bouleverser à la fois leurs clients et leurs actionnaires. « Spend less, do more!”.